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DIOCÈSE DE TSHUMBE

DIOCÈSE DE TSHUMBE

Église Catholique au Sankuru, République Démocratique du Congo.


LES DROITS DE L’HOMME SONT-ILS DROITS D’AUTRUI?

Publié par Abbé Richard Ongendangenda Muya sur 11 Juin 2011, 09:05am

Catégories : #SCIENCE ET CULTURE

Richard  ONGENDANGENDA est prêtre du diocèse de Tshumbe (Sankuru) depuis le 18 août 1991, en République Démocratique du Congo. Lauréat de la Faculté de Théologie de l'Université Catholique du Congo (UCC) depuis 2006, il est, depuis la même année, Licencié agrégé de l'enseignement secondaire du degré supérieur. Il a obtenu un "DEA" en Théologie Systématique de l'UCC, un prix d'excellence de la Fondation Rawji et un "DEA" en Philosophie des Droits de la personne humaine pour la Prévention, la Médiation et la Gestion des conflits, Chaire-Unesco de l'Université de Kinshasa. Il prépare actuellement son doctorat en Théologie Systématique sur Henri de Lubac. Sa collaboration à la publication de l'ouvrage collectif "DROITS DE L'HOMME COMME DROITS D'AUTRUI. Une radicalisation chez Emmanuel Lévinas.", avec le Professeur Willy BONGO PASI, brise le complexe de ceux qui se sentent encore sous-estimés, diminués dans leur potentialité intellectuelle en devenant coauteur. Et pourtant...!  Bravo, à monsieur l'abbé! Enfin, avec nos vives félicitations pour la publication de son livre, nous voulons puiser à la source de ses recherches afin de mieux comprendre la synthèse très synthétique de ce bel ouvrage mise en ligne par les éditeurs.  

 

 De quoi s'agit-il dans "Droits de l'homme comme droits d'autrui"?

"Droits de l’Homme comme droits d’autrui. Une radicalisation Chez Emmanuel Levinas", est une ligne de recherche qui vise le réexamen de l’éthique de responsabilité pour autrui, au bénéfice d’une intelligence renouvelée des prérogatives reconnues à la personne humaine dans le contexte d’une Afrique rongée par les maux sociaux qui constituent des obstacles à l’émergence des institutions justes et donc d’un État de droit.


En effet, considérant que l’homme ne peut être conçu en dehors de la société, qu’il est appelé à collaborer avec les autres, en ne s’épanouissant qu’au sein d’une société d’autant que sa nature, identique chez tous les hommes, exige une communauté humaine ; persuadé que l’intersubjectivité est toujours déjà porteuse de conflictualité, que la socialité elle-même se trouve entachée d’une charge négative, que la reconnaissance et la valorisation de l’homme par l’homme est une quête laborieuse, et convaincu que l’histoire de l’humanité est un défi permanent au règne de l’amour, de la concorde, de la cohabitation pacifique, nous nous sommes proposé de réfléchir sur le comment vivre ensemble en hommes et femmes responsables, soucieux des droits, de la dignité, de la promotion, et du respect de l’autre ou d’autrui.

 

Quelle est la problématique de votre livre?

Si l’on croit le philosophe allemand, F. Hegel, l’histoire universelle est aussi l’histoire de l’avènement de la liberté. Toujours selon Hegel, la civilisation indochinoise est celle de la liberté d’un seul (dictateur) contre tous, la civilisation gréco-romaine, celle de la liberté de quelques-uns contre tous, la civilisation germanique ou prussienne, celle de la liberté de tous et d’un chacun. Ainsi qu’on peut le constater, l’Afrique n’a aucune place sous le soleil hégélien.


Le moins que l’on puisse dire, ici, est que Hegel simplifie à l’extrême, qu’il est germanocentriste et naïf, à moins qu’il ne soit de mauvaise foi. Néanmoins, ce qui est irrécusable dans sa vision de l’histoire universelle, c’est l’idéal même de liberté comme synthèse d’égalité et de fraternité entre les hommes au sein d’une communauté tant nationale qu’internationale. Cet idéal revient à être, pour un chacun, citoyen à part entière au sein de sa communauté nationale et citoyen du monde sans aucune discrimination. L’on peut reconnaître volontiers que l’humanité d’aujourd’hui est bien loin du compte.


En effet, selon Amnesty International, la moitié des États viole les Droits de l’Homme et nul ne peut prétendre être citoyen du monde à part entière sans nier le phénomène virulent du racisme et de la xénophobie. L’on peut du reste estimer que le jugement d’Amnesty International est bien optimiste.


Ce faisant, qu’en est-il et comment promouvoir le respect des Droits de l’Homme en Afrique et dans le monde? De plus en plus aujourd’hui, on parle du mal politique extrême, tel qu’on l’a vu incarné dans le totalitarisme autant qu’on ne s’empêche de penser la citoyenneté après la Shoah. Ne serions-nous pas tentés, en effet, de désespérer ou de mépriser cette humanité? Peut-on, au contraire, relever le défi et apprendre à mieux vivre ensemble dans un souci commun de promouvoir la dignité de la personne humaine à travers la connaissance, la consolidation et le respect des prérogatives reconnues à l’être humain en tant que tel?


Ces interrogations nous ont introduit dans une dimension proprement éthique, domaine où le philosophe franco-juif, Emmanuel Levinas, avec son concept de responsabilité, constitue une figure emblématique et appelle à l’engagement: Et moi, qu’en est-il de ma responsabilité dans mes relations de proximité ou au sein de l’espace social? Qu’en est-il de mon rapport à l’autre? Ne l’oublions pas, Emmanuel Levinas fut profondément marqué par la vie des hommes et l’ombre du Nazisme reste omniprésente dans sa pensée.


Aussi, nous a-t-il paru nécessaire de penser les Droits de l’Homme à partir des concepts opératoires de la philosophie levinassienne de « souci d’autrui », « souci de l’autre », « priorité à l’autre », « visage de l’autre », « Responsabilité pour l’autre ». E. Levinas lui-même n’a pas lésiné sur les mots en parlant d’un individualisme éthique pour qualifier sa philosophie. Cette expression signifie, nous semble-t-il, la nécessité de reconnaître le visage de l’autre comme individualité qui ne se réduit pas à la compréhension ou à l’intégration dans un système ; elle souligne également l’idée que sur le plan de la responsabilité éthique envers autrui, personne ne peut répondre à ma place.


Ainsi donc, de comprendre et d’approfondir les prérogatives reconnues à tout être humain du seul fait de son humanité, de radicaliser fondamentalement ces énoncés à partir de la pensée levinassienne, d’examiner à partir d’un prisme africain, sa critique des violences égologiques sur autrui, nous a semblé susceptible de conjurer tant soit peu l’ignorance en ce domaine, de prévenir les conflits, de les gérer, de les transformer et de les dirimer éventuellement. D’un tel effort, la promotion des droits humains, de la justice et de la paix en dépend largement, dans une Afrique dont on avait dit hier qu’elle était étranglée, mal partie et aujourd’hui en mal de démocratie et où l'Etat correspond souvent à une machine à broyer la dignité humaine.

 

Pourquoi avez-vous traité de cette question et pas d'une autre?

Pendant la guerre froide, on avait tendance à définir la paix et la sécurité simplement en termes de puissance militaire ou d’équilibre de la terreur. Aujourd’hui, nous savons qu’une paix durable repose sur une vision plus large, englobant l’éducation et l’alphabétisation, la santé et l’alimentation, les Droits de l’Homme et les libertés fondamentales. Autant dire que le champ que couvrent les droits de l’Homme ne constitue plus un domaine périphérique des sciences humaines et sociales.


Les Chaires des Droits de l’Homme ont pour objet la promotion de l’éducation aux droits humains, à la démocratie et à la tolérance. Dès lors, peut-on vraiment parler de l’Unesco sans philosophie ? Il ne nous semble pas. En effet, l’Unesco est née d’une interrogation sur les conditions de possibilité de faire régner dans le monde, d’une manière durable, la paix et la sécurité, elle est une réponse institutionnelle à une question essentiellement philosophique. Elle est donc, pourrait-on dire, une institution philosophique.


Aussi, en face du déclin de la raison totalisante, grande protagoniste des temps modernes, dans l’expérience des fruits de ce qu’on est convenu d’appeler « la dialectique des Lumières », le point commun de tous ceux qui vivent l’aventure de la pensée est la crise de l’identité, l’épreuve de la différence. L’inquiétude que nous éprouvons tous indistinctement est celle de l’altérité. En effet, « si le "je", le monde de l’identité tant du côté subjectif que du côté absolu, est vecteur de la modernité, la question de la post-modernité insurgée et inquiète est l’autre », dont il faut promouvoir la dignité en respectant et en protégeant ses droits.


Il va ici sans dire que c’est l’autre qui constitue aujourd’hui l’interrogation de la pensée. Quiconque vit l’inquiétude du post-modernisme, suspendu entre les déceptions de l’idéologie et la fascination du nihilisme, se trouve placée face à la question de l’autre et de sa possible irruption. Levinas l’a compris et assumé en participant au labeur de transformation de la question métaphysique en question éthique, en passant de la question de l’être à celle de l’autre, en reconnaissant dans la splendeur du visage d’autrui la dénonciation sans équivoque de la subjectivité hyperbolique.


Tout compte fait, cette approche radicale qui donne priorité à autrui, à l’autre, y compris à celui que je ne connais pas et qui pourtant me concerne (le tiers), nous a semblé susceptible de contribuer à mieux vivre humainement dans une Afrique de plus en plus acquise à une culture de la mort et en proie aux crises, aux violences multiformes et aux violations massives des Droits de l’Homme. On perçoit clairement ce qui a déterminé notre choix et motivé notre volonté de prendre prétexte sur la pensée de Levinas dans notre approche des Droits de l’homme.

 

Votre mot de la fin

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ne correspond nullement à une génération spontanée. En fait, plusieurs mouvements de pensée, plusieurs philosophies et autres disciplines ont contribué non seulement à son enclenchement mais aussi à son développement et à sa formulation actuelle.


L’évolution de cette longue histoire se trouve marquée de part en part par deux affirmations fondamentales et capitales qui demeurent des présupposés de la vérité et de l’authenticité de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, à savoir : la dignité inconditionnelle de la personne humaine et l’égalité foncière entre les êtres humains.


La déconstruction des violences égologiques assurée avec l’appui d’Emmanuel Levinas a mis en garde les générations présentes et à venir contre le piège de l’enfermement dans le même, dans le monde de l’identité qui érige en règle d’or la référence et la préférence familiales, claniques, tribales, ethniques, etc. D’en faire un critère d’humanité et de fraternité, il y a là une complicité dans les mots et les actes, avec laquelle il faut, plus que jamais, rompre.


La relecture d’Emmanuel Levinas dans le contexte contemporain où les violations des Droits de l’Homme se révèlent massives et quotidiennes, a permis de repenser la relation à l’autre, à autrui, de renouveler notre regard sur l’autre et de garantir ou de promouvoir une intelligence nouvelle des prérogatives reconnues à l’homme, l’autre homme, en raison simplement de son humanité.


Perçus tels des droits d’autrui, les droits de l’Homme consacrent notre responsabilité de fraternité humaine à les respecter, à les défendre et à les protéger toujours. Sous cette éclaircie, les rapports éthique et politique deviennent le lieu où la célébration du respect des Droits de l’Homme se module par la dialectique de la justice et de la charité dont l’Etat est appelé à devenir le garant. Cet impératif se fonde sur la nécessité d’engagement et le principe d’une éthique de responsabilité.


Persuadé ensuite que la prévention des conflits constitue un défi complexe pour lequel il n’existe pas de recette toute faite, et surtout pas de recette unique, étant entendu que ce défi n’est pas partout et toujours insurmontable, nous avons entrepris une réflexion serrée sur la dynamique des Droits de l’Homme dans toute politique de prévention des conflits, en indiquant autant que faire se pouvait, les enjeux et les pistes de solution pour l’avenir. Bien évidemment, le tout sur fond de cette conviction que le non-respect des droits humains fondamentaux constitue un facteur à part entière de conflits et de guerres.


Fort de la conviction que jamais un bien personnel et social n’a été aussi désespérément désiré que la paix, que jamais une aspiration humaine fondamentale n’a été autant étouffée par la violence et les atrocités de la guerre, que la quête d’entente et de convivialité entre les hommes est une exigence permanente, il nous a semblé urgent de démêler l’écheveau du rôle que les droits humains ou tout au moins leur respect, peut jouer dans la recherche et la construction de la paix.


Somme toute, le prix que la fin du XXe siècle a attaché à la paix nous semble révélateur de la valeur et de l’importance que celle-ci revêt pour le 3e millénaire. Celui-ci ne peut prétendre relever les défis du développement, de l’amélioration de la qualité de vie pour tous, de l’instauration d’un ordre mondial juste et équilibré que si les habitants de la planète – terre se laissent activement gagner par l’éducation à une culture authentique et agissante de la paix, convaincus, bien entendu, que le respect, la protection, la publicité et la promotion honnête des droits humains est une arme efficace pour la paix.

 

Propos recueillis par

Abbé Claude OKONDJO, Rédaction ANJASHI WA TSHUMBE


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